Alors que la consommation de psychotropes et notamment d’antidépresseurs a augmenté à travers le monde, une étude vient de mettre en évidence la présence de traces de ces substances dans les cerveaux de poissons de la région des Grands Lacs en Amérique du Nord.
Plus de 300 millions, c’est le nombre de personnes qui seraient actuellement touchées par la dépression. Une maladie mentale qui a connu au cours des dernières décennies une augmentation préoccupante. A tel point que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) suggère que la dépression pourrait devenir la première cause de morbidité chez la femme et la seconde chez l’homme d’ici 2020.
Si l’on estime que la moitié des malades ne sont aujourd’hui pas traités voire non diagnostiqués, les prescriptions d’antidépresseurs ont également connu une nette hausse au cours des dernières années. Une augmentation dont les conséquences vont bien au-delà d’un simple enjeu de santé publique. C’est ce que révèle une étude publiée dans la revue Environmental Science and Technology.
Menée par une équipe internationale de scientifiques, ces travaux ont permis de mettre en évidence des traces d’antidépresseurs chez des espèces évoluant dans la région des Grands Lacs en Amérique du Nord et plus précisément dans la rivière Niagara. Une présence qui préoccupe car elle pourrait affecter profondément les poissons.
Des concentrations élevées d’antidépresseurs
Pour en arriver là, l’étude s’est intéressée à plusieurs substances chimiques présentes dans des médicaments ou des produits d’hygiène. Celles-ci ont été recherchées dans les organes et les muscles de 10 espèces de poisson d’eau douce différentes allant de l’achigan à petite bouche à la perche blanche en passant par le doré jaune ou la truite arc-en-ciel.
Résultat : les molécules contenues dans les antidépresseurs ont été découverts dans les cerveaux de toutes les espèces de poissons étudiées. La plus forte concentration pour un seul composé a été identifié dans un crapet de roche qui a affiché 400 nanogrammes d’un dérivé de sertraline, un psychotrope utilisé comme antidépresseur, par gramme de tissu cérébral.
Chez le même poisson, deux autres molécules ont également été détectées : du citalopram et de la norfluoxetine, un métabolite de l’ingrédient actif notamment contenu dans le Prozac. En résumé, plus de la moitié des échantillons des cerveaux de poissons ont présenté des niveaux du dérivé de sertraline de 100 nanogrammes par gramme ou plus.
Encore plus préoccupant, les résultats ont suggéré que les antidépresseurs se seraient accumulés au fil du temps dans les cerveaux des poissons aboutissant à des niveaux 20 fois plus élevés que ceux présents dans les eaux de la rivière. Pour la norsertraline, le dérivé de sertraline, les concentrations étaient même souvent jusqu’à 100 fois supérieures.
Une menace pour la biodiversité
Cette découverte ne manque pas d’alerter les spécialistes qui s’inquiètent aussi bien pour l’évolution des animaux marins que pour la biodiversité des étendues d’eau dans lesquels ils vivent. « Ces ingrédients actifs issus des antidépresseurs, issus des stations d’épuration des eaux usées, s’accumulent dans les cerveaux », a expliqué dans un communiqué Diana Aga, de l’Université de Buffalo et auteur principal de l’étude.
Selon les spécialistes, la présence de ces antidépresseurs ne présente pas de danger pour les humains qui mangeraient ces poissons, notamment aux États-Unis où l’on ne consomme pas les organes comme le cerveau. En revanche, elle pourrait avoir un impact réel sur la biodiversité. « C’est une menace pour la biodiversité, et nous devrions être très préoccupés« , a affirmé la spécialiste.
« Ces médicaments pourraient affecter le comportement du poisson. Nous n’avons pas examiné le comportement dans notre étude, mais d’autres équipes de recherche ont montré que les antidépresseurs peuvent affecter le comportement alimentaire des poissons ou leurs instincts de survie », a commenté Diana Aga.
Ainsi, des recherches ont permis de mettre en évidence des réactions anormales chez les poissons en contact avec les psychotropes. Par exemple, il a été observé que certains spécimens avaient moins conscience du danger et des prédateurs qui les entouraient, même si les résultats varient en fonction des espèces.
Mieux traiter les eaux
Pour le groupe de scientifiques, l’une des solutions se trouve irrémédiablement du côté des usines de traitement des eaux usées. Les produits chimiques, comme ceux dont il est question dans cette étude et qui se transmettent notamment par l’urine, doivent impérativement faire l’objet d’une meilleure filtration.
A l’heure actuelle, ces molécules ne font en effet pas figure de priorité en matière de traitement des eaux à côté des bactéries susceptibles de causer des maladies par exemple. De fait, « la faune sauvage est exposée à tous ces produits chimiques. Les poissons reçoivent ce cocktail de médicaments 24 heures par jour, et nous trouvons ces médicaments dans leur cerveau« , a résumé Diana Aga.
« Le risque que les drogues posent à la biodiversité est réel, et les scientifiques commencent tout juste à comprendre quelles pourraient en être les conséquences », a souligné Randolph Singh de l’Université de Buffalo et co-auteur de l’étude.