Les chiens aboient pour défendre leur territoire, les corbeaux poussent des cris menaçants et le poisson crapaud… grogne. Preuve que les poissons ne sont pas si muets.
Le monde sous-marin n’est définitivement pas celui du silence. Et le poisson crapaud (Halobatrachus didactylus) l’illustre bien avec un répertoire d’une étonnante complexité. L’animal qui vit sur les fonds de l’océan Atlantique à la mer Méditerranée coasse, grogne, siffle… au total ce sont 5 sons qu’il produit à différentes occasions. L’un d’eux, un grognement long et puissant produit répétitivement dit « sifflet de bateau« (boatwhistle) a interpellé les chercheurs.
Des nids convoités
L’équipe de Clara Amorim, de l’Institut universitaire du Portugal (ISPA), a émis l’hypothèse qu’il servirait à repousser les autres mâles. Ceux-ci ont en effet tendance à s’introduire dans les abris rocheux aménagés en nid de leurs congénères du même sexe pour les y en chasser, à la saison des amours. C’est à cette période, de mai à juillet, que les mâles chantent en chœur depuis leurs nids des refrains destinés aux femelles, qui évaluent la condition du vocaliste à la force et la vigueur du chant. Après l’accouplement, la femelle pond des œufs gélatineux dans le nid préparé par le mâle. Animal territorial, il défendra l’endroit jusqu’à ce que les jeunes naissent et soient capables de subvenir à leurs propres besoins.
Une « cornemuse » pour communiquer
Pour tester leur hypothèse, les chercheurs ont altéré le système vocal du poisson. Celui-ci fonctionne comme une cornemuse. A la place du sac, se trouve la vessie natatoire, une poche remplie de gaz (dioxygène, dioxyde de carbone et diazote) située dans l’abdomen des poissons, sous la colonne vertébrale. Ce sac se gonfle ou se dégonfle selon que le poisson remonte vers la surface ou s’enfonce vers les profondeurs. Chez le poisson crapaud, comme chez 108 autres espèces de poissons osseux, cette vessie donne naissance à un son, sous la pression plus ou moins forte qu’exercent les muscles de l’animal. Pour altérer cette émission, les scientifiques ont coupé et dégonflé la vessie natatoire d’ Halobatrachus didactylus, sous anesthésie.
Les résultats ont confirmé les soupçons de l’équipe : les intrusions dans le nid des mâles à la vessie altérée étaient bien plus fréquentes que dans ceux des mâles normaux. L’avertissement sonore de « sifflet de bateau » est une signature vocale, qui varie en fonction de l’âge et la taille du poisson ainsi que selon des facteurs environnementaux. De sorte que les grognements des spécimens les plus gros sont reconnaissables et très dissuasifs. Il semblerait donc que ce son soit un moyen efficace de lutter contre les intrus et les vols de nid, ce à moindre coût énergétique. « Le sifflement de bateau est un moyen économique de chasser des intrus sans s’engager dans un combat » explique Amorim. « Voir qu’un nid est occupé n’est pas aussi efficace qu’entendre qu’il y a un mâle dans le nid, impatient de défendre son territoire. » L’avertissement sonore permet donc d’éviter une joute dont l’issue est incertaine et qui fait perdre aux deux parties de l’énergie précieuse.