Des chercheurs de l’Institut des neurosciences de l’Université Paris-Saclay ont étudié le développement du cerveau d’une étonnante espèce de poissons : Astyanax mexicanus. Au sein de ce même groupe en effet, deux types d’individus se distinguent : certains nagent en surface, sont colorés et voient parfaitement, d’autres, au contraire, vivent dans des grottes sombres, sont dépigmentés, aveugles, et surtout, ne dorment presque jamais. Des disparités morphologiques et comportementales que les chercheurs attribuent à une différence dans le nombre d’un type particulier de cellules cérébrales : les neurones orexinergiques.
Entre ces deux poissons, difficile de trouver un point commun. L’un nage dans les eaux de surface des rivières d’Amérique Latine, où il laisse entrevoir les reflets colorés de ses écailles. L’autre, aveugle et dépigmenté, se cache dans les profondeurs de grottes sous-marines mexicaines. Et pourtant, tous les deux appartiennent à une seule et même espèce : Astyanax mexicanus. Plus connus sous le nom de tétras mexicains, ces poissons, de la famille des Characidés, peuvent atteindre une douzaine de centimètres de longueur.
Des chercheurs de l’Institut des neurosciences de l’Université Paris-Saclay ont étudié en détail le développement embryonnaire de ces étonnants animaux, et en particulier celui de leur cerveau. Ils ont alors découvert que c’est au cours des premières étapes de sa formation que se trouvent les clés qui permettent d’expliquer les différences entre les tétras cavernicoles et leur congénères de surface.
Des différences précoces
Dix heures seulement après la fécondation, les tétras cavernicoles commencent en effet à développer en plus grand nombre un type de cellules cérébrales bien spécifique : les neurones orexinergiques.
Aussi nommées neurones à hypocrétines, en référence à l’autre appellation du neurotransmetteur qu’elles sécrètent – l’orexine – ces cellules ont un rôle crucial dans la régulation du sommeil. Concentrées notamment dans l’hypothalamus, elles sont capables de stimuler l’organisme pour le maintenir en état d’éveil. Une faculté qui est d’ailleurs suspectée, en cas de dysfonctionnement, d’être à l’origine de la narcolepsie chez l’Homme.
Selon l’étude réalisée par les scientifiques de l’Université Paris-Saclay, publiée tout récemment dans la revue eLife, l’influence précoce de deux protéines, baptisées Shh et Fgf, est responsable de la multiplication des neurones orexinergiques chez les tétras cavernicoles dès les premières heures de leur développement.
Cette quantité accrue de neurones responsables de l’éveil explique ainsi indubitablement le comportement particulier du tétra des grottes ; lui qui, contrairement à ses congénères de surface, ne dort presque jamais. Un comportement probablement lié à son mode d’alimentation. « Nous avons découvert précédemment que le sommeil est augmenté chez les poissons cavernicoles durant les périodes prolongées de famine. Cela a permis de suggérer qu’ils réprimaient leur sommeil afin de chercher de la nourriture à la saison humide, quand elle est abondante », explique James Jaggard, chercheur à la Florida Atlantic University, aux États-Unis.
Un Comportement et une morphologie en étroite relation
Outre cette modification du comportement, la différence du nombre de neurones à hypocrétines observée entre les deux poissons semble également être liée à leur disparité morphologique.
Les scientifiques suspectent en effet une relation directe entre les mécanismes qui ont conduit le tétra carvenicole à perdre la vue, et celui qui explique son éveil quasi-permanent, comme l’explique dans un communiqué le co-auteur de l’étude Jorge Torres-Paz, chercheur post-doctorant au CNRS : « De façon intéressante, nous avons découvert que la variation du nombre de neurones orexinergiques intervient durant les premières étapes du développement embryonnaire, qui se produisent dans les 10 premières heures qui suivent la fécondation. Cela suggère que les mécanismes qui conduisent à la perte des yeux peuvent également intervenir dans le développement du cerveau et du comportement, comme le sommeil. »
Outre son aspect, c’est désormais avant tout le rythme de vie particulier du tétra cavernicole qui intéresse les chercheurs. La découverte de ses origines physiologiques pourrait leur permettre de mieux expliquer les différences observées dans le monde animal. « Nos résultats sont en faveur du rôle de l’hypocrétine en relation avec le sommeil chez d’autres animaux, et fournissent ainsi une nouvelle façon d’étudier les différences de sommeil dans le règne animal tout entier. »
Une perspective qui pourrait même d’ailleurs trouver des applications dans le domaine de la santé humaine. Les tétras cavernicoles, au sommeil si léger, pourraient sans doute constituer des modèles parfaits pour étudier les troubles tels que l’insomnie. Depuis leur antre sombre, les tétras des cavernes pourraient, bien malgré eux, nous aider un jour à retrouver le sommeil.