Test du miroir : Un poisson peut-il avoir conscience de son propre corps ?

Une équipe internationale de chercheurs a démontré que les labres nettoyeurs communs pouvaient passer avec succès le test du miroir. Mais cette étude soulève quelques questions.

Si un poisson est capable de passer le test du miroir, qu’est-ce que cela implique ? C’est en substance la question posée par des chercheurs issus d’université japonaises, suisses et  allemandes dans une étude publiée le 7 février 2019 dans la revue PlosBiology.

Le miroir a d’abord été utilisé pour évaluer les primates

Le test du miroir, aussi appelé « test de la marque » en anglais est depuis des années une expérience quasi incontournable en éthologie. Elle consiste à placer une marque colorée sur le corps d’un animal de sorte à ce qu’il ne puisse l’apercevoir qu’en se regardant dans un miroir. S’il tente alors de la retirer sur son propre corps, alors l’animal est normalement capable de reconnaître son reflet et a donc conscience de lui-même. Il s’agit donc là de prouver que le sujet possède certaines capacités cognitives.

Un test très commenté
Dans un article publié en parallèle de cette étude, également dans PlosBiology, Frans de Waal souligne l’ambiguïté des résultats obtenus. Et le célèbre éthologue néerlandais de critiquer ce fameux test du miroir. « Il a encouragé une vision binaire de la conscience de soi : quelques espèces possèdent cette capacité et les autres non, note-t-il. Cependant, étant donné le fonctionnement de l’évolution, nous avons besoin d’un modèle plus gradué concernant les différentes façons dont les animaux se construisent et répondent à un miroir« .
Concernant plus précisément l’étude, l’éthologue note que le frottement des poissons contre le substrat n’est pas une preuve suffisante pour certifier qu’ils ont conscience d’eux-mêmes. La marque (colorée et transparente) a, quant à elle, été faite grâce à l’injection sous-cutanée d’un élastomère. Pour Frans de Waal, la réaction des poissons peut être due à l’association entre la marque colorée et l’irritation, voire la douleur provoquée par l’injection, une injection d’élastomère transparent ne conduisant à aucune réaction. La chercheuse Joëlle Proust (Institut Jean Nicod du Département de philosophie et département d’études cognitives, École normale supérieure, Paris) formule la même objection dans un article publié sur le site du magazine La Recherche.
C’est ce phénomène qui pourrait donc expliquer que les labres communs soient capables de faire le lien entre leur corps et le reflet. « Pourquoi est-ce que la conscience de soi ne se développerait pas comme un oignon, couche après couche, plutôt que tout d’un coup ?« , s’interroge Frans de Waal. « Nous avons l’impression que si les animaux se reconnaissent, alors ils ont le concept d’eux-mêmes, mais la réalité est bien plus complexe » abonde Joëlle Proust dans La Recherche. D’où la nécessité d’avoir davantage de tests, dont certains non visuels.

Outre l’être humain, certaines espèces ont été capables de le réussir. On peut citer quelques mammifères (bonobos, chimpanzés, éléphants, dauphins, orques…) et certains oiseaux (pies, perroquets gris du Gabon…). Mais ce test a tout d’abord été conçu pour les primates. Sa réussite se traduit donc par l’expression de certains gestes issus du répertoire comportemental de ces animaux : des mimiques ou encore une main posée au niveau de la marque. L’interprétation devient plus ardue quand le test est effectué sur d’autres taxons notamment ceux qui n’ont pas de membres ou qui n’ont pas la dextérité d’un singe. Dans cette nouvelle étude, des scientifiques ont malgré tout tenté le test du miroir avec un poisson, le labre nettoyeur commun (Labroides dimidiatus) connu pour nettoyer les autres poissons.

Les labres nettoyeurs communs ont passé le test du miroir

Les chercheurs ont tout d’abord placé un miroir dans l’aquarium de ces animaux. S’il prend conscience qu’il s’agit de son reflet, l’animal doit normalement passer par trois phases qui sont autant de « preuves supplémentaires de la conscience de soi« , notent les chercheurs. Tout d’abord, il doit réagir comme s’il s’agissait d’un congénère (phase 1), ensuite adopter un comportement étrange et inédit visant à tester la concordance de ses gestes avec ceux du reflet (phase 2) et enfin, utiliser le miroir afin d’examiner son propre corps (phase 3).

Lors de l’expérience, les labres nettoyeurs ont démontré une certaine agressivité face à leur reflet (phase 1), puis certains se sont mis à nager à l’envers (comportement atypique illustrant la phase 2). Pour finir, ils ont passé beaucoup de temps devant le miroir, à se regarder (phase 3). Par la suite, les chercheurs ont disposé une marque de couleur (visible) ou transparente (invisible) sur ces poissons. Ces derniers ont alors tenté de retirer la marque colorée en se frottant sur un substrat mais seulement si un miroir avait été placé dans l’aquarium. « Ils n’ont montré aucune réponse envers la marque transparente ou envers la marque colorée en l’absence de miroir« , notent les chercheurs dans l’étude.

Une étude qui pose plus de questions qu’elle n’y répond

L’interprétation parait alors évidente : cette espèce de poisson a conscience d’elle-même ! Pourtant, les auteurs se montrent bien plus mesurés dans leur interprétation, remettant en cause la fiabilité du test du miroir. Selon eux, il serait possible que ce comportement soit issu d’un autre processus cognitif ne traduisant pas nécessairement une conscience de soi. Autrement dit, si les labres nettoyeurs répondent avec des comportements semblables à ceux des mammifères confrontés au test du miroir, cela n’est pas forcément le signe de processus cognitifs équivalents.

« Nous ne pensons pas – bien que nos observations puissent être considérées comme des réponses comportementales réussies pour chacune des phases du test du miroir – qu’il s’agisse là d’une preuve de la conscience de soi chez le labre nettoyeur commun« , avouent les chercheurs. Ces derniers pensent en réalité que ces poissons suivent « un processus d’auto-référencement » : durant celui-ci, ils perçoivent que certaines choses observées sont des parties de leur propre corps mais « sans que cela implique toutefois une théorie de l’esprit ou une conscience de soi« , ce qui n’en fait pas pour autant des idiots. « Si un poisson est jugé sur sa capacité à grimper dans un arbre, il va passer sa vie entière à croire qu’il est stupide« , concluent-ils.

( Anne-Sophie Tassart )

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